La Haine sur scène : 30 ans plus tard le propos est toujours aussi percutant
Mathieu Kassovitz adapte son film « La Haine » en spectacle musical. Un pari ambitieux et réussi avec un résultat qui met une claque visuelle.
En 2019, 24 ans après la sortie au cinéma de son – désormais culte – long-métrage La Haine, le réalisateur Mathieu Kassovitz faisait (l’amer) constat que presque 3 décennies plus tard, rien n’avait changé et que ce qu’il racontait dans son film, tourné en noir et blanc, avec Vincent Cassel, sonnait encore très juste. Aussi, pour (nous) remettre un uppercut à la face du monde, il avait alors décidé de transposer son film sur scène. En 2024, La Haine – jusqu’ici rien n’a changé – voit donc le jour sur scène après plusieurs années de travail acharné et le résultat visuel, scénique, est à la hauteur des attentes.
Un spectacle très en lien avec le film
Le spectacle musical La Haine reprend l’histoire et les personnages développés dans le film de 1995, mais en 2024. Il met toujours en scène Vinz, Hubert et Saïd, des jeunes de banlieue oisifs, désœuvrés, qui n’ont pas vraiment de perspective d’avenir devant eux. Leur quotidien est toujours rythmé par les tensions avec la police. L’histoire et les dialogues ont été adaptés à 2024, il y est question de Paypal, d’euros ou encore d’intelligence artificielle, notamment grâce au self-taxi. L’occasion d’une mise en scène intéressante avec le retour sur grand écran de la caméra installée dans la voiture. On y fait allusion à Philippe Etchebest, Mélenchon, Eric Antoine, Bardella ou encore Bigflop et Oli (sic!).
La filiation avec l’œuvre originelle est très présente, avec cette réplique, « Nique sa mère le maire » qu’on entend à plusieurs reprises. Comme un film, La Haine – jusqu’ici rien n’a changé démarre par un générique, au son de Burnin’ and Lootin‘ de Bob Marley, musique déjà utilisée en 1995. Toutefois, ici le titre a été remixé. Les heures défilent aussi sur écran, comme dans La Haine de 1995.
Alexander Ferrario (notamment vu dans Les 7 vies de Léa sur Netflix), reprend, 3 décennies après Vincent Cassel, le rôle de Vinz. Comme Cassel, il a sa scène avec le flingue (chapardé à la police). Une scène emblématique du film qui bénéficie d’une nouvelle mise en scène : Vinz se filme avec son smarthphone, et c’est le retour du smartphone qui apparaît sur écran géant. Une scène mythique qui lui vaut un « Tu t’es pris pour Vincent Cassel« .
Un spectacle résolument visuel
La Haine sur scène est un spectacle très visuel, à commencer par la mise en scène et les décors. Ces derniers mêlent quelques éléments de décors physiques à de nombreuses projections vidéo. Ces dernières sont impressionnantes tant elles sont réalistes et apportent de l’immensité et de la profondeur au spectacle. Elles reprennent les codes esthétiques du film, avec beaucoup de noir et blanc, le ciel immense et ses nuages, associées à de puissants éclairages. Un mélange entre 2D, 3D et 4D qui perdure tout au long du show. Les comédiens évoluent, par moment, sur un dispositif central rond, tournant, et sur des tapis roulants. Ce qui donne l’impression qu’ils sont perpétuellement en mouvement. Un dynamisme de toutes les scènes, presque, grâce aux éléments de décor et aux projections qui, parfois, bougent si vite qu’elles en donnent le tournis et le vertige. C’est notamment le cas lorsque les protagonistes prennent un ascenseur pour se rendre sur un toit.
On apprécie certaines trouvailles de mise en scène, fruit d’un travail, toujours, entre décors et projections, comme au début de spectacle, tous ces habitants d’un immeuble qui apparaissent aux différentes fenêtres du bâtiment. Ce tableau, parmi les 15 que compte le spectacle, nous évoque la mise en scène qu’Abd Al Malik avait faite des Justes d’Albert Camus au théâtre du Châtelet en 2019. La première chorégraphie d’ensemble, digne de ce nom, arrive autour de sacs de frappe de boxe. Plus tard, ce sont des cordes qui sont utilisées pour une autre chorégraphie. Néanmoins, d’autres passages dansés se révèlent plus confus, moins ordonnés et symétriques, à l’image des comédiens qui, par moment crient et rendent, à ce moment, le spectacle très cacophonique.
Les artistes s’expriment via une (nouvelle) bande-originale, qui mêle des titres de Clara Luciani, Jyeuhair, Sofiane Pamart, Akhénaton, -M-, Angélique Kidjo, Chico and the Gipsies ou encore Oxmo Puccino, spécialement composés pour le spectacle. Si les titres sont interprétés en live (hormis Le Chant des Partisans qui est seulement diffusé et c’est bien dommage), ils le sont sur une bande-son. Il n’y a pas de musiciens, mis à part un DJ (pas tout le temps présent).
La fin est toute aussi tragique que dans le film puisque 30 ans plus tard rien n’a changé, notamment sur le sort des banlieues et de leurs habitants. Mais, l’espoir ne les a toujours pas quitté et Hubert, incarné en 2024 par Alivor, clôt le spectacle par une très belle chanson sur l’amour. Car au final, l’amour triomphe et triomphera sur la haine. Tel est le message du spectacle.
La Haine – Jusqu’ici rien n’a changé de Mathieu Kassovitz
A la Seine Musicale (Boulogne) jusqu’au 5 janvier 2025 puis en tournée, 24 et 25/01/25 à Rouen, les 7 et 08/02/25 au Zénith d’Auvergne, 14 et 15/02/25 à Amiens, 07 et 08/03/25 à Rennes, 04 et 05/04/25 à Toulouse, 18 et 19/04/25 à Grenoble, 25 et 26/04/25 à Nice, 06 et 07/06/25 à Lille, 20 et 21/06/25 à Strasbourg…
Crédit photo : Anthony Ghnassia